« Deux cents cartes » pour l’admission à Science Po Paris

Le 20 janvier 2008, c’est la première nuit que je passe à Paris. Je voudrais d’abord visiter mon école : Science Po Paris. Malheureusement, je perds mon chemin dans le coin des rues Saint-Guillaume, de Grenelle, des Saints-Pères et le Boulevard Saint-Germain, car je ne trouve pas la porte de l’école. J’imaginais qu’elle devait être aussi grande qu’une « grande école », au moins aussi grande que celle des universités chinoises. Je suis surpris lorsque je la trouve. La porte et l’école elle-même sont toutes petites comme une école primaire à Shanghai. C’est incroyable !

Quelques années après, je comprendrai que la taille de l’école ne décide ni de sa qualité ni de son esprit, ni enfin des conditions matérielles. De même que la meilleure université chinoise était l’Université nationale associée du sud-ouest (1937-1946)[1] pendant la guerre contre les envahisseurs japonais.

[1] 西南联 (en pinyin : xī nán lián dà )

Elle a formé l’âme libre et l’esprit scientifique de la Chine moderne, une légende dans le cœur de tous les intellectuels chinois.

Un documentaire sur l'Université nationale associée du sud-ouest de Chine

Pour la rentrée 2007, Science Po Paris demande aux candidats étrangers deux conditions nécessaires : 1. Le niveau 5 du TCF (Test de Connaissance du Français) ; 2.  L’entretien oral.

Puisque je n’ai suivi que 200 heures de cours de français, c’est impossible d’obtenir le niveau 5. J’atteindrai le même niveau en 2010, deux ans après l’installation en France. Je souhaite apprendre le français en France, ce sera plus efficace qu’en Chine à cause de mon âge. Mais une admission dans une école de langue française ne suffit pas pour le visa, il faut une admission universitaire. C’est un privilège diplomatique pour les pays « pauvres » comme la Chine car la France présume peut-être que tous les Chinois « pauvres » veulent aller en France pour devenir des sans-papiers. Donc, j’essaie de demander à l’école si je peux participer à l’entretien pour une admission conditionnelle (la rentrée universitaire 2008 avec niveau 5 ou 6 du TCF)

Je ne suis pas optimiste car le régime français a une réputation solide. Néanmoins, la meilleure école française en science politique est si ouverte que j’obtiens par chance une autorisation. Une nuit de janvier 2007, après avoir reçu la convocation, je conduis mon Audi à l’Aéroport international de Shanghai Pudong. Regardant l’avion de Paris décoller et disparaître dans le ciel, la nuit, j’imagine que ce sera le mien emportant mon rêve pour la démocratie et pour l’avenir de ma patrie.

L’entretien a lieu le 16 mars 2007 à Pékin, au bureau du Centre Culturel Français, entre deux professeurs français de l’école et moi. J’ai préparé un exposé sur les élections présidentielles de 2007 avec la comparaison entre les sites électoraux de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal. C’est ma première observation sur la démocratie française.

 Mais au début de l’entretien, je reçois un coup de bâton sur la tête : Je ne comprends pas la première question !

Je ne fais que rire bêtement devant les juges, même Madame Royal et Monsieur Sarkozy sur l’écran s’inquiètent pour moi.

Heureusement, Madame la Professeure parle très bien le chinois. Elle est très gentille et me dit doucement qu’elle peut traduire ce que son collègue dit si je ne comprends pas. Cela me touche profondément et m’encourage à continuer cette aventure.

 Tout à coup, je comprends presque tout, et mes réponses sont dites en français et ils me comprennent.

- D’après vous, qui va gagner les élections ?

- Je pense que Sarkozy va gagner. 

- Pourquoi ?

- J’ai trois raisons :

Premièrement, les 100 propositions du pacte présidentiel du projet de Royal ont été déclarées trop tard. Elles sont issues de la participation des citoyens. C’est une bonne idée au sens démocratique. C’est l’atout de son site. Mais le peuple préfère que ce soit le candidat qui propose d’abord son projet et on le discuter après. Madame Royal semble ne pas avoir de projet précis avant de consulter le peuple. Donc, elle ne serait pas une présidente compétente.

Deuxièmement, on peut trouver sur le site de Sarkozy qu’il y a beaucoup de Français de différentes origines, qui expliquent en leur langue natale pourquoi ils soutiennent Monsieur Sarkozy. Par exemple son militant chinois interviewe les citoyens d’origine chinoise en langue chinoise et des Russes qui parlent russe. C’est l’atout de son site. Cela laisse à penser que Sarkozy s’occupe des citoyens minoritaires et qu’il est ouvert.

Troisièmement, je pense que les Français préfèrent « travailler plus pour gagner plus », ainsi que la réforme face à la concurrence mondiale.

Ensuite, le professeur me demande comment je peux étudier ces élections en Chine. Je suis étonné, peut-être pensait-il que le gouvernement chinois bloquait les sites électoraux occidentaux. Mais la situation pour la propagation de la démocratie est beaucoup mieux que les Occidentaux ne l’imaginent. Ce malentendu accompagnera toute mon action pour la démocratie sur le territoire français. Voire je serai plusieurs fois regardé comme un espion.

À la fin de l’entretien, ils me demandent ce que je veux faire à l’avenir. « Napoléon a dit : “Tout soldat français porte dans sa giberne le bâton de maréchal de France”. Je fais des efforts pour l’avenir, tout sera possible » dis-je avec plein d’espoir.

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Les professeurs semblent contents de mes réponses. Je parle de mieux en mieux français.

Or, ils ne savent toujours pas mon secret.

J’ai préparé 200 petites cartes pour cet entretien. J’y ai écrit toutes les questions prévues et mes réponses en français pendant tout le mois de février.

Par exemple, des questions normales comme : « Pourquoi vous voulez aller en France ? » Et ma réponse est : « Parce que je voudrais étudier la démocratie française. » 

Des questions culturelles comme : « Que pensez-vous des Français ? » - « Ce sont des Chinois traditionnels et libres. »

Des questions concernant mon métier : « Comment vous traitez les critiques des médias ? » - « Toutes les critiques sont bienvenues, je les regarde comme un moteur supplémentaire pour améliorer notre service public. La censure est la pire façon de faire face aux critiques, elle ne signifie que l’incompétence du gouvernement. » 

 

Des questions professionnelles comme : « Que pensez-vous de la démocratie ? » - « Je crois qu’il y a quatre parties : la liberté, l’égalité, la fraternité, les trois devises françaises, et la légalité. Mais les principes de la légalité sont compris dans les trois premiers. Si on devait en ajouter deux autres, ce serait la tolérance et le compromis qui sont les principes pour mettre en place la démocratie. En fait, la démocratie n’est pas une idéologie, mais une pratique, elle n’est pas un but, mais un outil. Elle devrait profiter à la vie réelle du peuple. » 

Des questions sur la France comme : « Est-ce que les Français veulent la réforme ? » - « Bien sûr, mais ils ne veulent pas en payer le prix. S’ils ne changent pas, ils perdront toutes les réformes, et arrivera une révolution. »

Des questions délicates comme : « La démocratie en Chine ? » « Elle se développe toujours, mais elle est toujours loin de l’exigence du peuple chinois. Souvent, elle s’avance de trois pas, mais recule de deux. » 

Ainsi que : « Connaissez-vous le 4 juin 1989 ? » - « L’affaire Tian An Men a influencé les valeurs de toute une génération. Elle a fait que les Chinois se sont éloignés de l’idéal politique, ne recherchant que la richesse. De toute façon, pour le peuple chinois, c’est une tragédie. Il y aurait eu sans doute une manière plus douce de gérer cette affaire à l’époque. »

Et « l’avenir de la démocratisation chinoise ? » - « À mon avis, pour réaliser la démocratie de manière complète en Chine, il faut prendre en considération trois facteurs. Il faut un système qui s’adapte à la situation en Chine ; le processus doit se faire de manière progressive et stable, ce qui bénéficie au peuple chinois ; et le dernier point, c’est trouver le bon moment. »

Des questions sur la relation franco-chinoise comme : « Le rôle de la France dans la démocratisation chinoise ? » - « Je crois que la démocratie française est le meilleur modèle du monde. La France peut nous aider à comprendre l’essence de la démocratie et à partager ses expériences. Mais nous devons aussi créer notre propre modèle. »

Voire des questions hors-séries comme : « La démocratisation à Taïwan ? » - « La démocratie est nécessaire pour la nation chinoise entière. Mais elle divise gravement notre société taïwanaise, inversement à son objectif original. On doit créer une démocratie chinoise en tirant des leçons pour sauver nos compatriotes et la démocratie elle-même. »

De même que « le Tibet ? » …

En fait, 99% des questions n’ont pas été posées, car ce n’est qu’un entretien pour les jeunes candidats au Master 1, non une conférence de presse au Palais de l’Assemblée du Peuple de Pékin !

Depuis mars, je récitais ces 200 cartes, chez moi, dans le taxi, dans la rue, dans l’avion de Shanghai à Pékin, dans l’hôtel, dans le restaurant, voire juste avant l’entretien, une autre candidate m’avait entraîné. La seule difficulté est la compréhension orale, mais la déesse française m’a procuré Le Réveil de la Force[1].[1] Star Wars: Episode VII – The Force Awakens, 2015

Star Wars : Le Réveil de la Force - Bande-annonce finale

La réussite ne tombe ni du ciel ni de la rue, mais elle appartient à ceux qui se préparent sérieusement. Les jeunes Chinois aiment écouter mes expériences : « On ne doit pas la défaite à la société, on doit d’abord faire des efforts pour réussir ». Nous pensons que c’est cette tradition qui a fait des Chinois immigrés pauvres au moment de l’arrivée des riches puis des élites. Bien sûr, la société devrait être aussi ouverte que les professeurs de Science Po Paris. Mais au fond, c’est le travail diligent qui valide la chance[1].

[1] Même si je n’entrais pas dans cette école, c’est elle qui m’ouvre la porte de la France, effectivement la porte de la démocratie française pour un pèlerin chinois.

La prochaine section : Joyeux anniversaire ! Maman ! Au revoir !

L'Autobiographie de Yun Tao raconte ses 12 ans d’aventures dans la démocratie française.  Se plonger dans la sagesse de la nation française ; apprendre des citoyens français ; comprendre « le mal français » ; comparer l’Occident et l’Orient ; traverser le passé, le présent et le futur ; découvrir une voie pour la Chine libre et rechercher les causes de notre « échec occidental », c’est aussi une alerte pour réveiller tous les Français qui aiment vraiment la France.

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